Ali Bongo Ondimba, président du Gabon, c’est à l’imparfait de l’indicatif qu’on évoquera désormais, puisque le Général de division qu’il avait lui-même mis sur orbite en lui confiant le commandement de la garde présidentielle, prête serment aujourd’hui, 4 septembre 2023, en tant que nouveau président, après s’être emparé du pouvoir au terme de la farce électorale organisée il y a une dizaine de jours. Le destin aura donc voulu qu’Ali Bongo qui avait eu des débuts séducteurs en politique, quitte définitivement la scène et le Palais du bord de mer par la plus petite des portes, avec en sus l’image pathétique d’un président physiquement amoindri, qui est resté accroché au pouvoir pendant quatorze ans au cours desquels il a saccagé la démocratie et organisé des élections largement boudées par un électorat plus que jamais désabusé. Ali Bongo et son régime archaïque et ploutocratique sont partis, mais les Gabonais doivent attendre de voir si celui qui le remplace, poste pour poste, est véritablement un don de Dieu comme ils le pensent, venu pour remettre à plat les institutions de la République avant de céder le fauteuil à un président démocratiquement élu.

Les Gabonais doivent marquer le nouveau président à la culotte

La facilité déconcertante avec laquelle il a ‘’ramassé’’ le pouvoir, sa prestation de serment cavalière, sa proximité pour ne pas dire sa connivence avec l’ancien régime, sans oublier son goût immodéré pour l’argent et pour le luxe, font planer le doute sur la sincérité du Général Brice Oligui Nguema, quand il dit vouloir assainir le milieu politico-économique infesté de passe-droits et de corruption. Car, en dépit des professions de foi a priori rassurantes, relayées abondamment pour ne pas dire complaisamment par les partisans du putsch, les Gabonais doivent marquer le nouveau président à la culotte, pour éviter que le coup d’arrêt de la démocratie de peccadille caractéristique du régime précédent, ne se transforme in fine en un simple retour en piste de l’ancien système vomi par la majorité des populations. La prudence et la vigilance sont d’autant plus de mise que dès sa prise de pouvoir, Brice Oligui Nguema a certes assigné Ali Bongo à résidence, mais il a aussi et surtout insisté sur le fait que ce dernier est « un Gabonais normal, qui jouit de tous ses droits, comme tout le monde ». Le glissement sémantique est d’importance, et conforte la position de ceux qui pensent que l’action de la garde présidentielle contre son ancien patron, est davantage une entourloupe pour une redistribution des cartes au sein de la famille politique et même biologique des Bongo, qu’une œuvre de salubrité publique pour débarrasser le pays de toutes les tares de la démocratie et de toutes les scories de la gouvernance économique. Et ce n’est pas seulement cette prestation de serment devant la Cour constitutionnelle, sans doute sous le regard admiratif de sa présidente et par ailleurs belle-mère du président déchu, qui devra suffire à rassurer les Gabonais qu’à l’heure du bilan de cette transition dont on ne connait encore ni la durée ni les contours, les résultats seront à la hauteur ou à la taille du très élancé Brice Oligui Nguema.

C’est le terrain qui commande la manœuvre chez les militaires mais aussi chez les civils

Les plus sceptiques sont à chercher dans le camp de l’opposition et notamment de la coalition « Alternance 2023 » dirigée par le supposé ou réel vainqueur de la dernière présidentielle, Albert Ondo Ossa. Cette plateforme politique s’est d’ailleurs réunie, hier dimanche, pour statuer sur l’évolution de la situation et pour appeler les Gabonais à ne pas laisser les militaires leur conter fleurette, avec le secret espoir de garder durablement et sous des dehors civils, le pouvoir qu’ils viennent d’arracher des mains de celui qui venait, selon toute vraisemblance, juste d’avoir l’onction du peuple, Albert Ondo Ossa en l’occurrence. Cet appel sera malheureusement inaudible, et on va fatalement assister, dans les jours à venir, à un mariage de raison entre civils et militaires pour gérer le Gabon, avec probablement des « épouses » issues de cette même coalition qui n’est certainement plus ce bloc monolithique de treize partis politiques qui dit avoir gagné les récentes élections. En l’espèce, c’est le terrain qui commande la manœuvre chez les militaires, mais aussi chez les civils, et le pauvre Ondo Ossa risque de voir son écurie se dégarnir avant même la formation du prochain gouvernement, du moins si l’on s’en tient au bruit des sabots des ‘’chevaux de Troie’’ qui se dirigeraient à vive allure vers la prairie du Général Nguema, prêts à être enfourchés pour détruire l’opposition ou ce qu’il en reste. En tout état de cause, si ce scénario se confirmait, ce serait dommage pour le Gabon qui a connu plus d’un demi-siècle de gestion patrimoniale et clientéliste du pouvoir, que des militaires prennent le relais et pour longtemps, en se considérant comme des responsables exclusifs de la bonne marche du pays. Cela dit, il ne faut tout de même pas jeter le bébé avec la bassine et l’eau du bain. Car, si les militaires doivent normalement se placer sous l’autorité des civils élus, ils devraient avoir aussi le droit d’intervenir quand la démocratie tourne à la pantalonnade sous le regard impuissant ou apeuré du peuple. On pourrait dire que c’est ce qui est plus ou moins arrivé au Gabon avec cette révolution de velours, et on espère que l’Officier général devenu président suivra les traces non pas de Robert Guéî ou de Yahya Jammeh, mais d’Amadou Toumani Touré des années 90 et de Salou Djibo qui sont entrés au Panthéon de l’histoire politique de leurs pays respectifs, en remettant le Mali et le Niger sur les rails de la démocratie. C’est vrai qu’on devrait se garder de donner à ce militaire putschiste le bon Dieu sans confession, mais ne lui faisons pas pour autant un procès d’intention. Car, il pourrait agréablement surprendre en faisant honneur au serment qu’il prête ce matin, notamment celui de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution qui a été, soit dit en passant, rétablie à la va-vite et pour les besoins de la cause, après avoir été suspendue dès l’annonce du coup d’Etat le 30 août dernier.

« Le Pays »

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