La 63ème session de la Conférence des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui s’est tenue le 9 juillet dernier à Bissau, la capitale de la Guinée-Bissau dont le chef de l’Etat exerçait la présidence tournante, a porté le nouveau président nigérian, Bola Ahmed Tinubu, à la tête de l’institution sous-régionale. Dès sa prise de fonction, le nouveau président en exercice de cet instrument d’intégration sous-régionale, a affiché, dans son discours, une volonté de travailler à renforcer la démocratie dans son espace géographique en luttant contre les changements anticonstitutionnels. En montrant son aversion pour les coups d’Etat, le successeur de Muhammadu Buhari ne cache pas son ambition de hisser les pays de la CEDEAO au rang d’exemples de démocratie sur le continent africain. Ce qui est à son honneur et à celui d’une institution qui a besoin d’opérer sa mue, pour passer d’une CEDEAO des chefs d’Etat à une CEDEAO des peuples avec comme seule boussole, la bonne gouvernance.

La tâche paraît plutôt ardue, mais elle est nécessaire

La question qui se pose est de savoir si la CEDEAO pourra tenir le pari. La question est d’autant fondée qu’au-delà de la force conjointe d’intervention dont la mise en place est à l’étude pour faire face au terrorisme et aux changements anticonstitutionnels, la CEDEAO ferait preuve de cécité politique si elle ne trouvait pas, parallèlement, les voies et moyens pour mettre au pas, ceux de ses dirigeants qui paraissent autant de brebis galeuses que de fossoyeurs de la démocratie, à travers les tripatouillages constitutionnels qui contribuent à biaiser le jeu politique en Afrique de l’Ouest. En tout cas, si elle veut être crédible, la CEDEAO ne peut pas mettre en place une force pour lutter contre le terrorisme et les coups d’Etat militaires dans son espace géographique et continuer à fermer les yeux sur les coups d’Etat constitutionnels qui sont autant de sources de contestations et de violences politiques ayant plus d’une fois contribué à mettre à mal la paix et la cohésion sociale. C’est dire si Bola Tinubu a du pain sur la planche ; tant la tâche paraît plutôt ardue. Mais elle est nécessaire pour la stabilité de nos Etats. Et la CEDEAO devrait même en faire un objectif. C’est pourquoi on peut encourager le nouveau président en exercice, Bola Tinubu, à aller jusqu’au bout de la logique. Car, autant, dans l’esprit, cette force antiterroriste et anti-coups d’Etats se veut dissuasive pour les apprentis putschistes, autant, dans la lettre, l’institution sous-régionale devrait prendre en amont des dispositions pour dissuader les chefs d’Etat d’enfreindre les règles de la démocratie et du jeu de l’alternance. Mais cela n’est pas gagné d’avance.

La question du renforcement de la démocratie doit aller au-delà de la seule préservation du trône des princes régnants

Surtout quand on voit comment le nombre de moutons noirs de la démocratie dans la sous-région ouest-africaine, s’est accru depuis l’échec, au sommet d’Accra en 2015, des têtes couronnées des pays de ladite région à instaurer la règle limitative des mandats présidentiels à deux, au moment où seuls le Togo de Faure Gnassingbé et la Gambie de Yahya Jammeh se distinguaient comme les mauvais élèves du principe d’alternance. Depuis lors, si le maître de Banjul a fini par quitter le pouvoir dans les conditions que l’on sait, celui de Lomé reste plus que jamais le maître absolu du jeu politique au Togo, au moment où d’Abidjan à Conakry, la tentation du troisième mandat a fait son petit bonhomme de chemin, avec son corollaire de dégâts humains et matériels qui ont contribué à creuser le fossé de la division entre compatriotes. C’est pourquoi la récente décision du président sénégalais, Macky Sall, de renoncer au mandat de tous les dangers, est tout sauf un épiphénomène. Et ce dans un contexte sociopolitique marqué par la résurgence des pronunciamiento. C’est dire si la question du renforcement de la démocratie dont le président Bola Tinubu veut faire son cheval de bataille à la tête de la CEDEAO, doit aller au-delà de la seule préservation du trône des princes régnants contre toute intrusion militaire, pour prendre en compte la dimension éthique qui appelle aussi les chefs d’Etat au strict respect des règles de l’alternance. C’est à ce prix que les Africains pourront bâtir leurs pays respectifs sur des projets de société fiables et durables, en lieu et place d’une démocratie en trompe l’œil qui fait certainement le bonheur de satrapes qui ne s’imaginent pas une vie en dehors du pouvoir, mais qui fait le malheur de la grande masse des populations qui croupissent dans la misère crasse, et qui sont presque toujours les dindons de la farce électorale. Il faut que ça change.

« Le Pays »

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