Le 1er avril dernier, Yaya Touré est devenu ambassadeur de la Coupe du monde 2022 de football au Qatar (21 novembre-18 décembre). L’Ivoirien vante les mérites de ce Mondial inhabituel. Une édition où l’ex-milieu de terrain verrait bien notamment le Sénégal de Sadio Mané briller. Entretien.

RFI : Yaya Touré, la Coupe du monde de football 2022 débute dans cinq mois au Qatar (21 novembre-18 décembre). Vous attendez-vous à un Mondial très ouvert, avec des surprises, ou plutôt à un Mondial avec des grands favoris toujours présents ?

Yaya Touré : Les deux ! Un grand Mondial avec des surprises.

Ça va se jouer en novembre-décembre, ce qui est une première pour ce genre de compétition qui se joue d’habitude en juin-juillet. Tous les joueurs seront en forme physiquement, c’est très important. Et aussi, la compétition se jouera pour la première fois dans un pays musulman, ce qui est historique. Un petit pays comme le Qatar va accueillir moult pays, c’est incroyable.

Quand je suis allé au Qatar, j’ai vu que les déplacements seront très courts par rapport aux précédentes Coupes du monde, au Brésil, en Afrique du Sud, en Russie, où l’on voyageait deux ou trois heures, parfois quatre heures… C’était un peu difficile physiquement, car on était en fin de saison, en juin.

La meilleure équipe gagnera. Ce sera celle qui dominera tous ses adversaires. Là-bas, on aura une super température qui sera contrôlée dans les stades. Il fera à peu près 24°C. Physiquement et mentalement, les joueurs seront au top car ils viendront de finir leur présaison, n’auront qu’un ou deux mois de championnat dans les jambes. Ils vont physiquement monter en force.

Quelles sont les équipes favorites ?

On s’attend toujours à des équipes comme le Brésil, l’Argentine, la France ou l’Angleterre qui sort d’un très bon tournoi où ils ont terminé déçu en finale [l’Euro 2021, ndlr]. Je crois qu’ils iront loin. N’oublions pas l’Allemagne, une équipe très sérieuse et que l’on connaît bien ; ils font toujours de très bonnes choses au Mondial. L’Espagne aussi. La Belgique, on ne sait pas trop, mais c’est une équipe qui monte en puissance en Europe et qui est première au classement mondial de la Fifa.

Je pense qu’il y aura des équipes très joueuses et des outsiders derrière qui attendront les opportunités. Dans toutes les compétitions, on a toujours une ou deux équipes comme ça, qui effraient tout le monde. Cette Coupe du monde sera spéciale. J’ai foi en l’organisation du Qatar. De ce que j’ai vu, les installations, la sécurité, l’accueil, ce sera exceptionnel.

Et l’équipe nationale du Qatar peut-elle créer la surprise ?

Je ne la connais pas en tant que telle, mais je l’ai vue lors de la Coupe arabe [disputée en novembre-décembre 2021, le Qatar s’est classé troisième, ndlr]. C’est une belle équipe, joueuse, qui met beaucoup d’intensité. La Coupe du monde se jouera chez elle, ce sera donc le pays phare, celui sur lequel les yeux du monde seront braqués. Il y aura beaucoup d’engouement, d’envie et de passion car ce sera la première fois que la Coupe du monde s’y jouera […].

La Côte d’Ivoire n’est pas qualifiée pour cette Coupe du monde 2022. Est-ce une déception pour vous, un nouveau coup d’arrêt pour le football ivoirien ?

Oui. En ce moment, l’équipe nationale est très jeune. Pour dire vrai, on ne peut pas lui en demander beaucoup au niveau du mental et de la maturité. Cette équipe a besoin de stabilité. Un nouveau coach est arrivé il n’y a pas longtemps |Jean-Louis Gasset en mai 2022, ndlr]. Ça peut prendre du temps mais je suis sûr qu’on va y arriver. Après la génération dorée – mon frère (Kolo), Didier (Drogba), Salomon Kalou, Gervinho, moi  –, il y a eu un gros trou derrière. Il faut être patient avec eux. C’est vrai que ça ne va pas être facile. La Côte d’Ivoire s’était quand même qualifiée pour trois Coupes du monde d’affilée, ce qui n’était pas facile. Peut-être que la prochaine fois, les jeunes surmonteront cela. On verra bien.

Avec la Côte d’Ivoire, vous avez disputé trois Coupes du monde d’affilée, dont la première de 2006. Avec du recul, qu’est-ce qui avait manqué aux Eléphants pour passer le premier tour ?

Tout y était, mais quand on regarde les poules [1], on ne peut pas trop se plaindre. C’était déjà un plaisir de jouer contre le Brésil et l’Argentine. En 2006, on était dans la poule de l’Argentine avec des joueurs comme Roberto Ayala, Lionel Messi, Hernan Crespo… C’étaient de gros joueurs. On préfère jouer en Coupe du monde contre l’Argentine que contre une équipe méconnue. Mais quand tu tombes dans une poule avec l’Argentine, les Pays-Bas et la Serbie, ce n’est pas évident quand même !

Nous étions une équipe jeune, nous n’avions pas assez d’expérience au niveau international. On n’a presque jamais eu la chance de tomber dans une bonne poule. On voulait faire bonne figure mais ce n’était pas évident parce qu’il y avait en face de gros joueurs expérimentés, de vraies machines. On avait la bonne attitude mais contre ces équipes, il fallait être très concentré pendant 95 minutes. Des joueurs comme Kaka ou Cristiano Ronaldo pouvaient faire la différence en un rien de temps.

Y a-t-il une des cinq équipes africaines qui peut créer la surprise au Qatar ?

Dans le groupe A, il y a Qatar, l’Équateur, le Sénégal et les Pays-Bas. Je crois que le Sénégal est une très bonne équipe actuellement en Afrique. Elle vient d’être sacrée championne d’Afrique, elle peut faire bonne figure. Mais il faut rester concentré, ne pas sous-estimer des équipes comme l’Équateur et le Qatar. Les Pays-Bas sont favoris de ce groupe mais le Sénégal a un bon coup à jouer.

En ce qui concerne la Tunisie, ils sont dans la poule de la France et du Danemark. C’est quand même du costaud. Ce ne sera pas évident et ce sera assez difficile pour les Tunisiens.

Ensuite, tu as le groupe G avec le Brésil, la Suisse, la Serbie et le Cameroun. Je crois que les Camerounais sont un peu plus ou moins mal barrés parce qu’ils ont un groupe costaud. Ce sera très très difficile.

Après, tu as le Ghana, qui est avec le Portugal, l’Uruguay et la Corée du Sud. Je pense que ce sera quand même assez difficile aussi parce que les Uruguayens sont des habitués, les Portugais aussi. Je crois que le Ghana peut quand même peut-être faire bonne figure, voire créer la surprise. On ne sait jamais… Mais voir ce que la Tunisie et le Cameroun vont faire, c’est assez difficile.

Enfin, il y a le Maroc qui figure dans un groupe où ça peut passer. Tu as la Belgique, le Canada et la Croatie. Le Maroc a un bon coup à jouer, je pense, même si la Croatie est une grosse équipe, une grosse machine. Tout peut se passer dans ce groupe.

Pour moi, le Sénégal est plus ou moins bien placé. Pour moi, c’est jouable. Mais il ne faut pas sous-estimer l’Équateur. Je crains tout le temps les équipes sud-américaines car elles sont très joueuses, très difficiles à contourner. Elles ont l’habitude de jouer contre des équipes comme l’Argentine et le Brésil. Elles ont la capacité de stopper ces grosses nations. Si elles sont au Mondial, ce n’est pas par hasard, c’est qu’elles le méritent. Mais je veux que le Sénégal passe, ainsi que le Cameroun, le Maroc et la Tunisie. Mais ce ne sera pas facile.

Dans l’équipe du Sénégal, il y a un joueur phare, Sadio Mané, qui sort d’une saison de très haut niveau avec Liverpool et le Sénégal. Ce Mondial peut-il être son Mondial ?

Je pense que oui. Là, il vient d’être transféré d’un gros club vers un gros club, puisqu’il quitte une grosse machine et un grand entraîneur à Liverpool pour le Bayern Munich. Et ensuite, il y a le Mondial. Il sait qu’il sera très attendu.

On voit que le Sénégal a un effectif assez costaud avec beaucoup de joueurs évoluant dans de grosses équipes en Europe. On voit Kalidou Koulibaly à Naples, un joueur déjà confirmé, recherché par tous les grands clubs, qui figure parmi les meilleurs du monde. Il y a Gana Gueye qui joue à Paris. C’est un peu comme la Côte d’Ivoire du temps où on jouait la CAN et le Mondial. Il y a aussi le gardien Edouard Mendy de Chelsea qui a gagné la Ligue des champions… A côté de lui, Sadio Mané a tous ces joueurs intéressants.

Je vois qu’il a enchaîné pas mal de matches, qu’il a souffert de très peu de blessures. Il n’est pratiquement jamais blessé, il est très fort physiquement. C’est aussi un bon gars, une bonne personne que je connais personnellement. Je veux le meilleur pour lui, j’espère qu’il fera un bon tournoi. Et j’espère qu’il ne sera pas juste bien classé mais qu’il gagnera le Ballon d’Or. Sadio Mané est un super joueur et une super personne.

Cette Coupe du monde va se jouer en novembre-décembre. Vous-même avez connu des situations un peu similaires avec ces Coupes d’Afrique des nations qui se tenaient en janvier-février. Est-ce vraiment très différent de disputer une phase finale d’un grand tournoi en pleine saison plutôt qu’en juin-juillet ?

Oui, pour moi, il y a une grande différence. Prenez la Premier League anglaise : si tu joues tous les matches, y compris le Boxing Day, et ainsi jusqu’à la fin de la saison, tu arrives émoussé, fatigué. Bon, ça dépend aussi du staff de chaque pays. Là, le Mondial va se jouer en novembre. La présaison va commencer pour certains clubs début juillet. Après, il y aura deux-trois mois de championnat où les joueurs seront en jambes, où les joueurs vont gagner en puissance, en physique. Arrivés en novembre, ils seront en pleine forme physique et mentale […]

Il s’agira de la dernière Coupe du monde à 32 équipes. Pour vous, quel est le mieux : un Mondial à 32 équipes ou à 48 équipes ?

Quand une Coupe du monde se joue en fin de saison, c’est assez difficile physiquement. Et si on va jusqu’à 48 équipes, ça va être un peu compliqué. Ce sera plus long et je ne pense pas que ça donnera plus d’engouement. Mais les choses sont en train d’avancer. On peut s’attendre à ce que demain, la Fifa décide de rajouter un joueur en plus dans la compétition, qu’elle la rende plus alléchante ou qu’il y ait plus de concurrence entre les équipes. On verra. On était habitué à 32 équipes, c’était pas mal, c’était même assez bien. Quand on arrive en fin de saison avec près de 60 matches dans les pieds et que la compétition arrive avec je ne sais combien de matches en plus, c’est difficile pour l’organisme. J’en ai fait l’expérience. On verra ce qui sera décidé après la Coupe du monde au Qatar.

Pour finir, vous vous êtes reconverti entraîneur. Cela vous plairait-il d’être coach au Qatar, comme l’Algérien Djamel Belmadi, un autre ancien de Manchester City, l’a été ?

Pour le moment, je ne me plains pas car je travaille avec l’Academy de Tottenham. Je pense que j’ai encore beaucoup à apprendre. Je n’ai pas envie de griller les étapes. Beaucoup de personnes m’interrogent sur la possibilité de commencer à coacher avec une équipe senior […], comme Vincent Kompany [ex-défenseur belge de Manchester City, nldr] qui a commencé à Anderlecht et qui est aujourd’hui à Burnley. Pour moi, tout dépend du temps en fait. Pour le moment, je n’ai pas de proposition venant du Qatar ! (rires)

Mais on ne sait jamais. Comme je suis un vrai croyant, pour moi, c’est le temps le plus important. En ce moment, je suis à l’Academy de Tottenham où je me plais bien, où j’apprends beaucoup à côté de coaches expérimentés qui ont travaillé en Premier League, en Championship [deuxième division anglaise, ndlr] et dans le monde entier. Être à côté d’eux m’aide beaucoup. Ça me permet de comprendre beaucoup de choses, de connaître l’industrie.

J’ai connu l’industrie en tant que joueur, certes, mais en tant que coach, c’est quelque chose de totalement différent. Quand j’ai travaillé en Russie et en Ukraine en tant qu’adjoint, j’ai senti la différence. Mais ce n’est pas assez évident, c’est pour ça que je me donne le temps d’apprendre avec les jeunes. Après, s’il y a une possibilité d’aller au Qatar pour me perfectionner, pourquoi pas ? Mais il n’y a pas d’offre pour le moment et je préfère avancer pas à pas, en restant à côté de la famille et des gens qui me supportent. Je veux commencer tranquillement. Joueur, je voulais être ainsi comme entraîneur : un leader qui gagne et aide au développement des joueurs. Et pour l’instant, ça se passe bien avec Tottenham. (rfi.fr)

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