A Paris, le président français Emmanuel Macron réunit ce mercredi 16 février, plusieurs dirigeants africains et européens pour officialiser le positionnement des forces françaises et européennes dans le Sahel. L’annonce d’un retrait du Mali est attendue, après neuf ans d’intervention militaire contre les djihadistes. Un départ rendu inévitable par les mauvaises relations entre la France et les militaires putschistes au pouvoir à Bamako. Le Mali est frappé par les sanctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Des sanctions une nouvelle fois défendues par le président en exercice de l’Union africaine, le Sénégalais Macky Sall, qui était en visite en Allemagne et a accordé une interview à la Deutsche Welle.

Monsieur le président, merci d’avoir accepté de nous parler. Félicitation pour la victoire du Sénégal à la CAN. Depuis quelques jours, vous êtes à la tête de l’Union africaine. Vous allez devoir faire face à des crises comme celle au Tigré en Ethiopie, au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et en Guinée-Bissau, mais aussi au Tchad. Comment comptez-vous vous y prendre en tant que président de l’Union africaine ?
Merci pour la victoire des Lions de la Téranga à la Coupe d’Afrique des nations. C’est une première pour le Sénégal malgré le talent des joueurs sénégalais depuis toujours. Mais bon, cette fois-ci a été la bonne. J’espère que nous allons maintenant garder ce tempo.
En ce qui concerne l’Afrique, c’est vrai que le tableau peut paraître sombre, mais ce qu’on oublie souvent c’est que l’Afrique est un vaste continent avec 54 pays où nous avons plus d’un milliard 300 millions d’Africains qui, déjà, vivent sur le continent au quotidien. Et on oublie souvent de parler de choses positives sur notre continent.
La démocratie paradoxalement se consolide, même si nous avons effectivement des crises çà et là, des crises internes aussi, mais surtout des interruptions de processus démocratiques avec des coups d’Etat, en particulier en Afrique de l’Ouest.
Car ce sont des accidents de parcours qui peuvent arriver. Mais on ne peut pas résumer l’activité en Afrique simplement sur ces crises, il y en a partout. Aujourd’hui, l’Ukraine et la Russie occupent l’actualité en Europe et dans le monde, donc il y a des crises partout. Alors, je voudrais dire simplement que nous avons, il est vrai, beaucoup de défis en Afrique sur la question d’abord de la sécurité. La question de la lutte contre le terrorisme.
Parce que lorsque le terrorisme a été vaincu en Syrie, en Libye, eh bien, il s’est déporté en Afrique qui est en train de devenir le ventre mou du terrorisme international, le ventre mou dans la lutte contre le terrorisme. Et justement parce que, paradoxalement, lorsqu’il s’est agi de l’Afghanistan, on a pu bâtir une coalition mondiale avec plus de 100.000 soldats mobilisés.
Quand c’est l’Afrique, le Sahel, ça fait dix ans, douze ans que nous plaidons auprès du Conseil de sécurité pour qu’il y ait une prise en charge plus forte, qu’il y ait une mission avec un mandat plus robuste.
On n’arrive pas à le mobiliser. Nous avons des difficultés également pour financer les opérations d’imposition de la paix et de maintien de la paix sur le continent. Ce sont les défis sur lesquels nous travaillons avec tous nos partenaires.
Au premier chef, le Conseil de sécurité des Nations unies qui a la responsabilité d’assurer la paix et la sécurité dans le monde mais également les pays partenaires, pour que véritablement qu’on ne se fasse pas d’illusions si l’Afrique n’est pas en paix et en sécurité, le monde ne sera pas en paix et en sécurité. Donc la paix et la sécurité de l’Afrique impactent la paix du monde. D’abord celle de l’Europe, à cause de la proximité, celle de l’Amérique et celle de l’Asie. L’Afrique fait partie du monde.

Alors, parmi les cinq pays que j’ai cités tout à l’heure, monsieur le président, trois sont frontaliers du Sénégal : la Guinée, le Mali, mais aussi la Guinée-Bissau qui a connu une tentative de coup de force militaire. Quel impact ou dans quelle mesure l’instabilité politique dans ces pays impacte le Sénégal ?
Oui, vous avez raison. Nous avons en voisinage le Mali, nous avons la Guinée. Nous avons également la Guinée-Bissau. Nous avons la Gambie, qui est quasiment à l’intérieur du Sénégal.
Le Sénégal a toujours de voisinage avec des crises politiques. Mais cela n’a jamais porté atteinte à la stabilité du Sénégal, puisque le Sénégal a très tôt fait le pari de travailler selon un modèle républicain démocratique. Ça ne date pas de maintenant. Ça vient de très loin. Très tôt, dès 1914 déjà, il y a eu des élections pluralistes où, pour la première fois, un Sénégalais de souche a battu des Sénégalais d’emprunt, donc de mulâtres ou des citoyens français et citoyen de Saint-Louis, dans de rudes compétitions.
De plus, cette bataille électorale s’est ancrée au Sénégal, par exemple, vous avez le ressort social des chefs religieux qui, lorsqu’il y a une crise majeure, peuvent intervenir socialement et parler aux uns et aux autres. Vous avez par exemple le sport. Vous avez vu comment il a réunifié la nation sénégalaise. Moi déjà j’ai fait un appel à l’opposition, à tout le monde, toutes les forces vives, puisqu’il s’agit d’une fête nationale, d’une victoire nationale d’une équipe.
Donc, ce n’est pas une seule partie, fut-elle de la majorité qui doit profiter en laissant l’autre partie du peuple. Donc, nous avons une certaine conscience de l’unité nationale et une certaine conception de la nation sénégalaise. C’est à dire cette commune volonté de vivre ensemble. Le pays est au-dessus de nous tous, et ça, on en a une claire conscience. Nous avons aussi une armée républicaine qui a compris que sa mission, c’est la défense du territoire.
Sa mission se doit au service de l’autorité politique et ça, l’armée sénégalaise le sait très bien. Et on a d’éminents soldats, d’éminents généraux qui ont fait leurs missions dans ce cadre et pas dans un autre cadre. Mais je ne fais pas de critiques aux autres. Je dis seulement ce qui a aidé le Sénégal à ne pas connaître ces crises. Maintenant, devant les nouvelles crises qui sont là, nous nous sommes là pour aider à apporter des solutions. Le Mali, ce qui se passe me fait mal, ça me fait mal.

Justement, au sujet du Mali, monsieur le président, si le Sénégal est politiquement très stable, on peut dire que sur le plan économique, la crise dans les pays voisins du Sénégal peut avoir un impact négatif sur l’économie sénégalaise.
Il est indéniable que la crise malienne impacte négativement notre économie puisque pour l’essentiel, près de 60% des importations maliennes passent par le port de Dakar. Donc vous voyez le trafic qu’il y a avait ? Par jour, on avait plus de 1.000 à 1.500 camions.
Donc, si ces trafics s’arrêtent, cela a évidemment une incidence. Justement, nous, nous l’avons dit, nous sommes solidaires des décisions de la Cédéao, mais nous sommes solidaires également des souffrances du peuple malien.
C’est pourquoi nous disons qu’il faut mettre tout le monde ensemble, travailler avec les autorités de la transition pour que nous venions à l’essentiel. L’essentiel, c’est de s’accorder sur un chemin raisonnable de transition qui permette au Mali de revenir dans le concert des nations, de revenir avec des autorités politiques élues, parce que c’est ça la règle.
Et justement, la Cédéao et l’Union africaine sont sévèrement critiquées par les populations africaines, mais aussi par les intellectuels africains qui reprochent assez à ces institutions et à ces organisations de ne pas agir en amont, c’est à dire en prévenant les conflits. Est ce qu’il ne faudrait pas peut être revoir les sanctions contre le Mali aujourd’hui ?
Non ! Vous savez, chacun doit agir selon ses responsabilités. La société civile, les populations, elles sont dans leur rôle, n’est-ce pas ? Les Etats sont dans leur rôle. Maintenant, la Cédéao c’est l’Organisation des Etats de l’Afrique de l’Ouest, ce sont les Etats qui ont harmonisé et qui ont partagé un destin commun en voyant déjà tous ces problèmes qui existaient avant. Les coups d’Etat existaient avant. C’est pour apporter des solutions à ces crises et à ces interruptions du pouvoir politique légitimement acquis que nous avons eu une charte pour la gouvernance démocratique qui bannit les coups d’Etat et qui exige, qui fixe des règles lorsqu’on enfreint un processus démocratique acquis.
Regardez le cas du Burkina Faso, le président a été réélu, il n’y a pas eu de contestation, son opposition était à la cérémonie d’investiture. Moins d’une année après, il a été mis hors état d’exercer. Et vous dites à la Cédéao de ne rien faire ? Quand elle prend les textes qui sont prévus justement dans ce cadre, on dit : c’est une réunion des chefs d’Etat, c’est un syndicat des chefs d’Etat. Ce n’est pas un syndicat.
Non, la Cédéao a beaucoup fait dans la lutte contre le terrorisme, la solidarité entre les Etats, l’accompagnement des forces de défense et de sécurité dans notre espace. L’intégration pour une Cédéao des peuples. La libre circulation des personnes et des biens, tout ça, ce sont des sujets sur lesquels la Cédéao travaille au quotidien. Lorsqu’il y a crise, nous avons accompagné, le Mali a été accompagné et je vous rappelle qu’on est au 18e mois en ce mois de février. Les sanctions ne durent que depuis un mois. Pendant 17 mois, la Cédéao a accepté les propositions des autorités de transition. Donc on ne peut pas faire ce procès à la Cédéao.
Je crois que le débat n’est pas là, le débat, c’est d’amener les deux pôles ; les autorités de la Cédéao et les autorités du Mali à travailler sur un schéma qui permette au Mali de s’en sortir parce que le peuple malien ne mérite pas cette souffrance.
Cela nous fait de la peine, mais je crois qu’il y a des derniers signaux qui sont à noter avec les autorités. J’ai bon espoir que dans les prochains mois, le dialogue sera repris et que nous pourrons sortir de ce problème.

Quel dialogue avec la Cédéao et l’Union africaine, quand on sait que la Cédéao n’est pas en bons termes avec les autorités de transition au Mali ?
Je ne crois pas que la Cédéao n’est pas en bons termes avec le Mali. Vous n’avez jamais entendu un chef d’Etat de la Cédéao dire du mal des autorités de la transition, je n’ai pas entendu cela. Il ne faut pas qu’on mélange es problèmes. Il y a une contradiction, il y a un différend de perception, mais on ne peut pas dire qu’il y a des difficultés entre les autorités et nous-même. Hier j’ai pris moi-même l’initiative d’appeler le président Goita avant de venir en Allemagne, donc on n’a pas de problème avec les autorités. Il faut simplement qu’il y ait un menu autour du programme de transition et des élections. C’est ça le problème, ce n’est pas autre chose.

Mais on considère les sanctions de la Cédéao comme dures parce que les prix des denrées de première nécessité augmentent.
Là aussi, il y a beaucoup de confusion. Le texte qui sanctionne a bien précisé que les denrées de première nécessité ne sont pas concernées par ces sanctions, les produits pharmaceutiques, les produits médicaux, les produits énergétiques ne sont pas sous le régime de sanctions, et ça c’est clair.

Comment entrevoyez-vous la présence sur le terrain africain des groupes de sécurité privés comme le groupe russe Wagner ? Et comment vous allez faire avec vos homologues africains pour juguler la sécurité dans le Sahel qui est menacée et qui devient le terrain privilégié pour des sociétés de sécurité privées comme le groupe russe Wagner ?
Vous savez, nous vivons aujourd’hui en Afrique aussi la rivalité entre puissances sur le continent et j’ai toujours dit en ce qui nous concerne, que pour le moment, l’enjeu stratégique, c’est la lutte contre le terrorisme.
Et pour nous, la lutte contre le terrorisme, elle a un cadre. D’abord les Nations unies, avec les missions des Nations unies. C’était aussi la coopération avec la France, parce qu’il ne faut quand même pas oublier que la France a été appelée par le Mali, les autorités du Mali.
Elle a apporté son rôle dans la lutte contre le terrorisme au Mali à travers différentes opérations Serval, Barkhane, puis la force Takuba européenne. Tout ça pour lutter contre le terrorisme. L’Afrique à travers les Etats d’abord, un pays comme le Nigeria, ça fait douze ans qu’il se bat contre Boko Haram. Le Tchad a payé un lourd tribut. Donc, les pays africains se battent au quotidien contre le terrorisme et il y a différents cadres. Il y a le G5, c’est une force conjointe qui réunit cinq pays du Sahel.
Et il y a au niveau de l’Afrique australe, le Rwanda avec les pays de la Sadec qui sont venus à la rescousse du Mozambique. Il y a des combats partout, en Somalie pour lutter contre les Shebabs, donc le continent se bat au quotidien.
Nous avons effectivement une présence, ce que les Maliens nous disent, c’est qu’ils ont une coopération avec la Russie sur le plan militaire, sur le plan de l’encadrement. D’autres disent que ce sont des milices privées. Eh bien, il ne m’appartient pas à moi de donner un jugement là-dessus mais ça fait partie de la corbeille de problèmes que nous devons examiner et avec les autorités maliennes et de façon globale, sur la question des crises en Afrique qui n’est pas une question simple.
D’abord, la question libyenne, c’est d’autres puissances qui sont en Libye et qui font que trouver une solution est extrêmement difficile. C’étaient d’autres puissances qui sont venues détruire la Libye, donc le sujet n’est pas simple, un sujet de géopolitique mondiale.
L’Afrique n’est pas un lieu isolé du monde. Donc, l’Afrique subit des conséquences, des influences. Tout cela, bien sûr, nous devons pouvoir l’examiner et voir progressivement des solutions.

Et ça va se faire avec le sommet Afrique-Union européenne à Bruxelles. Quel rôle doit jouer l’Allemagne, monsieur le président, justement, dans ce dossier ? Dans ce jeu stratégique dans le Sahel, on sait que l’Allemagne est aussi présente.
Vous savez que l’Allemagne est la première puissance économique de l’Europe. Elle a forcément un rôle à jouer, un rôle de locomotive. Je sais qu’elle a toujours travaillé dans le cadre du couple franco-allemand. Mais c’est toute l’Europe qui est aujourd’hui engagée avec l’Afrique sur un nouveau partenariat, un partenariat décomplexé. Mais un partenariat qui tient compte aussi, de nos problèmes et des solutions que nous proposons.
Nous ne sommes pas dans une époque où nous venons prendre de solutions, qu’on nous donne comme ça et qu’on va appliquer. Nous disons qu’il faut coconstruire les réponses entre l’Europe et l’Afrique, l’Europe a besoin de l’Afrique et l’Afrique a besoin de l’Europe.
Un partenariat nouveau, c’est ce que nous voulons bâtir.
Et Bruxelles sera un point de départ très important dans cette nouvelle perspective où chacun de nous a besoin de l’autre mais dans le respect strict de nos identités. Et c’est ce je dis et nous n’avons pas d’injonction civilisationnelle à recevoir de l’Europe mais nous sommes ouverts à ce partenariat et nous le voulons vraiment en toute bonne foi. Mais nous sommes différents. Il faut également que la partie européenne reconnaisse cette différence et essaye de travailler avec nous dans des solutions mutuellement bénéfiques.
Auteur : Kossivi Tiassou, Bob Barry

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