Prélever un organe humain et le transplanter à un autre être humain… Un geste salvateur quand il est pratiqué dans un cadre légal et dans les conditions sanitaires adéquates. Mais le don et la transplantation d’organes font de plus en plus l’objet de trafics en tout genre. A tel point que certains n’hésitent plus à parler d’épidémie. C’est le cas de Frank Tieitie, avocat et spécialiste des droits de l’Homme, qui regrette que le phénomène passe largement sous silence.

Selon l’avocat, le don d’organes est souvent motivé par la pauvreté plutôt que par la motivation d’essayer de sauver une vie, ou d’améliorer l’état de santé d’une personne. « Les gens vendent leurs organes, ou bien certains membres du personnel médical, en particulier les médecins, qui sont sans scrupules, prélèvent les organes de leurs patients à leur insu » assure-t-il.

Vendre son rein pour gagner de l’argent

La vente d’organes humains est illégale dans toute l’Afrique. Pourtant, Willis Okumu, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité, lors de ses recherches sur le commerce d’organes à Eldoret, une ville de l’ouest du Kenya, a découvert que de nombreux jeunes hommes étaient prêts à vendre leur rein.

« Ils n’étaient pas vraiment forcés ou contraints de quelque manière que ce soit. Mais ils cherchaient vraiment à se faire de l’argent rapidement, par désespoir, mais aussi en raison de l’existence d’un marché qui payait initialement jusqu’à 6.000 dollars, soit environ 700.000 shillings kenyans » raconte à la DW le chercheur.

A titre de comparaison, un receveur de rein peut payer plus de 150.000 dollars, selon un document du Parlement européen. Les donneurs de reins ne perçoivent donc qu’une infime partie de l’argent qui sert tout de même à améliorer, du moins pour un temps, leurs conditions de vie.

« J’ai vu un certain nombre de jeunes gens avec des cicatrices sur l’abdomen, montrant qu’ils ont subi ces procédures et, bien sûr, la plupart d’entre eux, lorsqu’ils sont revenus, avaient acheté une moto ou construit une nouvelle maison, ou quelque chose de ce genre  » explique Willis Okumu.

Selon Willis Okumu, la plupart des personnes impliquées dans ce trafic ne craignent pas d’être poursuivies, car il est difficile pour les autorités d’appliquer la loi. Bien que les détails concernant le monde illicite du trafic d’organes humains ne soient pas clairs, on pense que l’Egypte, la Libye, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria sont les pays les plus touchés en Afrique.

Alors que la réglementation des transplantations et des dons d’organes diffère d’une région à l’autre, moins de 10% des transplantations nécessaires sont effectuées dans le monde, ce qui a conduit certains patients à tenter d’obtenir des organes illégalement. Et ce sont souvent les plus pauvres qui sont des « donneurs » et les plus aisés les receveurs.

Il y a également un nombre relativement faible de centres médicaux qui effectuent des transplantations légales en Afrique.Un document de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), datant de 2020, ne recense que 35 centres de transplantation rénale pour l’ensemble du continent. Ce type de capacité insuffisante est imputé au manque d’accessibilité, à l’expertise limitée et à un soutien financier inadéquat.

Un rapport de Global Financial Integrity, un groupe de réflexion basé à Washington et spécialisé dans la corruption, le commerce illicite et le blanchiment d’argent, a souligné l’importance du trafic d’organes dans le monde. Selon ce rapport, entre 840 millions et 1,7 milliard de dollars (755 millions et 1,5 milliard d’euros) sont générés chaque année par la traite des êtres humains à des fins de prélèvement d’organes.

Une opération sophistiquée

En raison du caractère illicite et lucratif de ce commerce, les réseaux de trafiquants d’organes sont très bien organisés. Les compétences nécessaires pour réaliser des opérations chirurgicales complexes, tant sur le donneur que sur le receveur, la mise en relation des acheteurs et des vendeurs, tout en évitant l’attention des organismes internationaux chargés de l’application de la loi, signifient que les trafiquants d’organes impliquent des membres du secteur médical, des groupes criminels locaux et même des hommes politiques.

L’année dernière, un jury londonien a rendu un verdict de culpabilité à l’encontre du sénateur nigérian Ike Ekweremadu, de son épouse et d’un médecin pour avoir conspiré en vue d’exploiter un jeune homme de Lagos pour son rein. Il s’agissait du premier verdict, rendu en vertu des lois britanniques sur l’esclavage moderne, à condamner des personnes soupçonnées d’avoir participé à un complot de prélèvement d’organes.

Trafic d’organes : une épidémie qui touche aussi l’Afrique (msn.com)

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