Faut-il craindre un nouveau front ukrainien au Sahel ? La question se pose alors que le Mali et le Niger ont annoncé rompre coup sur coup leurs relations diplomatiques avec Kiev. En effet, depuis plusieurs jours, l’Ukraine est au coeur de graves accusations. Tout d’abord, la junte au pouvoir à Bamako pointe Kiev du doigt dans la lourde défaite infligée par des rebelles séparatistes et djihadistes à son armée et aux paramilitaires russes qui l’accompagnaient le mois dernier lors de la bataille de Tinzaouatène, tout près de la frontière algérienne. Le bilan officiel fait état de 47 soldats maliens et 84 mercenaires russes tués. Du jamais-vu depuis l’arrivée des mercenaires russes de Wagner dans le pays, en 2021.

Au c?ur de leurs accusations : les propos du porte-parole ukrainien des services de renseignements, Andriï Ioussov, qui aurait sous-entendu, tout juste après la bataille de Tinzaouatène, que son pays avait fourni des informations utiles aux rebelles pour qu’ils puissent mener à bien leur attaque contre les criminels de guerre russes.

Ces propos ont provoqué l’ire des autorités maliennes, qui ont accusé M. Ioussov d’avoir ainsi « avoué l’implication de l’Ukraine dans une attaque lâche, traître et barbare », reprochant à Kiev de « soutenir le terrorisme international ». « Le fait que les rebelles aient reçu les données nécessaires qui leur ont permis de mener à bien une opération contre les criminels de guerre russes a déjà été observé par le monde entier. Bien entendu, nous ne divulguerons pas les détails. Plus d’informations à venir ici aussi », avait-il également déclaré à la télévision ukrainienne. Une vidéo qu’avait relayée l’ambassadeur ukrainien au Sénégal, Yurii Pyvovarov, sur sa page Facebook mais aujourd’hui introuvable. Entre-temps, il a été convoqué par les nouvelles autorités sénégalaises pour des explications.

La stratégie ukrainienne en Afrique malmenée

Les plus hauts responsables de la diplomatie ukrainienne ont beau démentir, ce mercredi, la Russie enfonce le clou en accusant Kiev d’ouvrir un « deuxième front » en Afrique en soutenant « des groupes terroristes dans des États du continent favorables à Moscou », a dénoncé la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, citée par l’agence Ria Novosti.

Ce bras de fer diplomatique, qui intervient au moment où le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, entame une tournée diplomatique africaine au Malawi, en Zambie et à l’île Maurice du 4 au 8 août, menace d’éclipser les efforts de Kiev pour élargir ses liens avec les pays africains, ce qui s’est matérialisé avec l’ouverture de plusieurs ambassades sur le continent. Pour rappel, en mars 2022, les pays africains représentaient à peine la moitié des abstentions à la résolution de l’ONU condamnant « l’agression contre l’Ukraine ».

L’ombre de l’Ukraine derrière la défaite de Tinzaouatène

Fin juillet, l’armée malienne et ses alliés russes subissaient l’un de leurs plus gros revers depuis des années dans le nord du Mali, accusant de lourdes pertes après des combats contre les rebelles séparatistes, et une attaque des djihadistes. Pour de nombreux experts et spécialistes, il s’agit de la plus importante perte que les miliciens russes ont encaissée en Afrique ces dernières années.

Il faut savoir que ces nouveaux affrontements s’inscrivent dans un contexte de reprise des hostilités en août 2023 entre le pouvoir et les séparatistes de l’Azawad. La junte dirigée par le colonel Assimi Goïta a fait de la reconquête du territoire national sa priorité. Après avoir rompu son partenariat avec la France, et engagé son rapprochement politique et militaire avec la Russie, la junte a poussé l’armée à accélérer son offensive sur le terrain avec en point culminant en novembre 2023 la prise de Kidal, bastion de la revendication indépendantiste. Une reprise symbolique qui avait permis d’affaiblir les groupes armés de l’Azawad.

Mais les rebelles n’ont jamais vraiment déposé les armes et se sont dispersés dans la région. Près de Tinzaouatène, les deux camps se sont livrés à d’intenses combats, d’une ampleur inédite depuis des mois. Plusieurs vidéos ont filtré, dont certaines montrent des soldats blancs parmi les victimes, alors que Bamako a toujours nié la présence de Wagner dans les opérations militaires.

L’immixtion de l’Ukraine critiquée en Afrique de l’Ouest

À la suite de ces événements, Bamako a décidé de rompre « avec effet immédiat » ses relations diplomatiques avec Kiev. Le Niger voisin, membre de la nouvelle Alliance des États du Sahel, lui a aussitôt emboîté le pas : « Le gouvernement de la République du Niger a appris avec une grande stupéfaction et une profonde indignation les propos subversifs et inacceptables de M. Andriï Ioussov, porte-parole de l’agence ukrainienne de renseignements militaires. » Dans une déclaration lue à la télévision nigérienne hier soir, le colonel major Amadou Abdramane, porte-parole du gouvernement, dénonce des actes d’agression caractérisée de la part de Kiev, synonyme, selon Niamey, de soutien au terrorisme international. Le régime nigérien a également annoncé « la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies en vue de statuer sur l’agression ukrainienne ». Et Niamey a aussi critiqué « le silence des autres pays africains et de l’Union africaine » face aux « tentatives malveillantes de transformer le Sahel en un théâtre de confrontation idéologique et stratégique ».

Pourtant, dès lundi, la Cedeao, que le Mali et le Niger ont quittée en janvier, a exprimé sa « ferme désapprobation et [sa] ferme condamnation de toute ingérence étrangère dans la région ». Elle a également condamné « toute tentative visant à entraîner la région dans les affrontements géopolitiques actuels ». Autant d’éléments qui font craindre une montée des tensions dans la guerre d’influence à laquelle se livrent la Russie et l’Ukraine en Afrique.

Sahel : l’Ukraine en mauvaise posture dans la région (msn.com)