Il y a presque 50 ans, « Sizwe Banzi is Dead » d’Athol Fugard, John Kani et Winston Ntshona dénonçait l’apartheid. Aujourd’hui, jouée au théâtre de Belleville, cette pièce n’a rien perdu de son actualité.

Athol Fugard est né en juin 1932 à Middelburg, d’un père irlandais et d’une mère afrikaner, c’est-à-dire blanc, en Afrique du Sud. Pourtant, en 1965, il rejoint la troupe The Serpent Players, laquelle n’est composée que d’acteurs noirs. Il y rencontre John Kani (né à New Brighton en 1942) et Winston Ntshona (né à Port Elizabeth en 1941 et mort en 2018).

Alors que la politique d’apartheid broie les libertés fondamentales d’une grande majorité de la population, les trois hommes vont utiliser leurs mots et leurs corps pour lutter contre l’oppression.

Racisme et oppression

Entre 1972 et 1973, ils écrivent ensemble trois pièces engagées : The Island (L’Île)Statements After an Arrest Under the Immorality Act (Inculpation pour violation de la loi sur l’immoralité ) et (Sizwe Banzi est mort). C’est cette dernière pièce, qui n’a guère perdu de son actualité, qui se joue actuellement à Paris, au Théâtre de Belleville, jusqu’au 26 avril.

« Qu’est-ce que Sizwe Banzi is Dead, pièce écrite en plein apartheid, continue à nous dire ? » s’interroge le metteur en scène Jean-Michel Vier dans sa note d’intention. « Quel miroir nous offre-t-elle aujourd’hui ? Dans un contexte de racisme et d’oppression, cette pièce se dresse. Elle naît avec une telle puissance qu’elle réussit aussi à traiter des questions d’identité de manière existentielle et universelle. En dehors de notre définition sociale ou des clichés ethniques, qui sommes-nous vraiment ? »

Sur scène, trois personnages. Styles, ancien ouvrier d’usine automobile devenu photographe, incarné par Jean-Louis Garçon (qui fut Mandela en 2018 dans la comédie musicale Madiba) ; Sizwe Banzi (Gyril Gueï), dont le nom signifie « la grande nation » mais qui est étranger dans son propre pays puisque ses papiers ne sont plus valides ; et entre les deux, l’accueillant Buntu (référence directe à l’Ubuntu), incarné lui aussi par Jean-Louis Garçon, qui pousse Sizwe Banzi à changer d’identité pour endosser celle d’un mort qui n’en a plus besoin, un cadavre étendu dans la rue et portant avec lui les papiers en règle d’un certain Robert Zwellinzima.

Humour et désir de vivre

On l’aura compris, Sizwe Banzi is Dead est une variation à tiroirs sur les questions d’identité, une variation joyeuse dopée à l’humour et au désir de vivre. Pour Jean-Michel Vier, et cela transparaît dans l’énergie vitale des deux acteurs, cette pièce n’est pas un constat « triste et amer » sur l’apartheid mais un « sursaut créateur » représentatif du théâtre des townships.

Soit un théâtre de rue inspiré par les Noirs qui, partis travailler en ville chez les Blancs, en « revenaient avec ce qu’ils avaient vécu et racontaient les épreuves, les anecdotes, les souffrances avec toutes les tonalités du conteur, tragiques ou comiques » et qui « par l’humour, le lyrisme, le récit de l’absurde pouvaient ressaisir leur vie même ».

Dans une mise en scène épurée, Jean-Michel Vier et ses acteurs parviennent à célébrer la vie même dans les moments les plus graves. Comme à cet instant émouvant et dur où Sizwe Banzi se demande : « Qu’est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? […] Qui veut de moi, mon ami ? Qu’est ce qui ne va pas avec moi ? Je suis un homme. J’ai des yeux pour voir. J’ai des oreilles pour entendre les gens quand ils parlent… J’ai une tête pour penser des choses bien… Qu’est-ce qui cloche avec moi ? Regardez-moi ! Je suis un homme. J’ai deux jambes. Je peux courir avec mes deux jambes, je peux courir avec une brouette pleine de ciment ! »

Sizwe Banzi is Dead est loin d’être une pièce sur la mort et le désespoir, c’est une pièce sur l’espoir, la résilience, la renaissance, la résistance. Et cela n’a pas échappé aux autorités sud-africaines. L’engagement théâtral de Fugard, Kani et Ntshona vaudra au premier une confiscation de son passeport et aux deux autres – ils sont Noirs – des périodes d’emprisonnement. Regardez bien ce miroir, vous y verrez les menaces qui pèsent sur notre présent. (jeuneafrique)

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