« Je suis profondément et absolument honoré d’être le premier représentant de la région Afrique à être choisi pour diriger l’OIT après 103 ans » d’existence, a aussitôt réagi Gilbert Houngbo. L’ancien Premier ministre du Togo vient d’être élu à la tête de l’Organisation internationale du travail, au second tour ? avec 30 voix, contre 23 pour sa principale opposante, l’ex-ministre française du Travail Muriel Pénicaud ? par les membres du conseil d’administration représentant les États et les organisations d’employeurs et d’employés. À 61 ans, ce natif d’une préfecture rurale du Togo a non seulement passé la majorité de sa carrière dans les organisations internationales, mais Gilbert Houngbo connaît très bien l’OIT, pour y avoir occupé le poste de directeur adjoint (2013-2017) en charge des opérations sur le terrain. Sa candidature était soutenue par l’Union africaine.

« Vous avez écrit l’histoire », a-t-il assuré après son élection à la tête de la plus ancienne agence spécialisée des Nations unies. Le résultat de l’élection, a-t-il souligné, « est porteur d’un symbolisme fort ». Puis il a affirmé : « Votre choix [?] répond aux aspirations d’un jeune Africain, d’un jeune Africain dont l’humble éducation s’est transformée en une quête de justice sociale qui a duré toute une vie. »

Un parcours reconnu et une vision pour l’OIT

Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, directeur du Programme des Nations unies pour le Développement (Pnud), Gilbert Houngbo, comptable de formation, a été également membre de l’équipe stratégique et directeur administratif et financier de l’organisation. C’est en 2017 qu’il a pris la tête du Fonds international de développement agricole (Fida), un poste qu’il occupe encore aujourd’hui depuis Rome, en Italie.

Dans sa candidature, Gilbert Houngbo a souligné que sa vision de l’OIT s’inspire du préambule de la Constitution de l’organisation : « Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. » « Les progrès accomplis ces dernières décennies en matière de justice sociale doivent être préservés et protégés, et les solutions mondiales aux nouveaux défis et opportunités doivent être centrées sur les valeurs humaines, environnementales, économiques et sociétales. En bref, un nouveau contrat social mondial s’impose », avait-il écrit.

« Si je suis élu, j’entends insuffler un nouvel élan à l’OIT, la repositionner au c?ur de l’architecture sociale mondiale et atténuer le risque de voir sa stature s’éroder. Pour cela, je propose un ambitieux programme mondial de justice sociale  », avait-il affiché comme ambition.

Née au lendemain de la Grande Guerre en 1919, l’OIT n’a jusqu’à présent jamais été dirigée par une femme ni par un représentant d’Afrique ou d’Asie. Elle compte en revanche parmi ses anciens patrons deux Français, dont le premier, Albert Thomas (1919-1932). L’une des candidates en lice pour cette élection ? à huis clos et à bulletin secret ? était l’ex-ministre française du Travail Muriel Pénicaud, qui était soutenue par Paris et le bloc européen. Ministre du Travail de mai 2017 à juillet 2020 en France, elle a engagé les grandes réformes sociales du quinquennat d’Emmanuel Macron, comme celles du Code du travail ou de l’assurance-chômage, vivement critiquées par les syndicats.

Étaient également candidats l’ex-ministre des Affaires étrangères de Corée du Sud Kang Kyung-wha, l’entrepreneur sud-africain Mthunzi Mdwaba et l’Australien Greg Vines, directeur général adjoint de l’OIT pour la gestion et la réforme.

Les cinq candidats devaient convaincre les représentants des gouvernements, mais également ceux des employeurs et des syndicats, les 187 États membres de l’OIT étant représentés par les trois branches. Seuls les 56 membres titulaires du conseil d’administration, à savoir 28 membres gouvernementaux, 14 membres employeurs et 14 membres travailleurs, ont pu voter.

Dix des sièges gouvernementaux titulaires sont réservés en permanence aux pays dont l’importance industrielle est la plus considérable (Allemagne, Brésil, Chine, France, Inde, Italie, Japon, Russie, Royaume-Uni et États-Unis). Disposant d’un siège permanent, la Russie a pu participer au vote, en dépit de la décision prise cette semaine par l’OIT de « suspendre provisoirement » sa coopération avec la Russie à cause de l’invasion de l’Ukraine.

D’immenses défis dans un monde en mutation

Au-delà de l’élection, l’enjeu est de taille : le prochain patron de l’OIT aura pour lourde tâche de faire adapter les normes de cette organisation centenaire à un marché du travail en pleine mutation sous l’effet des nouvelles technologies. « Mon élection au poste de directeur général intervient à un moment trouble de l’histoire, à un moment d’incertitude pour ce que l’avenir pourrait réserver », a reconnu Gilbert Houngbo. « Le monde a besoin d’une OIT qui soit capable de résoudre les problèmes concrets des travailleurs et des entreprises », a-t-il dit.

D’autant que la pandémie de Covid-19 a donné un coup d’accélérateur aux technologies de télétravail qui permettent d’abolir les barrières géographiques et de travailler en équipe à distance. Pour certains même, le métavers existe déjà au quotidien, au-delà des joueurs et passionnés de technologies, créant un nouveau monde du travail dont les règles sont encore à façonner. Même s’il est vrai que cet univers parallèle, accessible grâce à des lunettes de réalité augmentée ou virtuelle (AR ou VR), relève encore de la science-fiction pour l’écrasante majorité de l’humanité. Des évolutions avec lesquelles va devoir se confronter très rapidement le Togolais, qui prendra ses fonctions début octobre à Genève, siège de l’organisation. (Le Point)

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